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L’énergie : alerte au Gaz…

Du temps de l’économie agricole, l’activité économique malthusienne était caractérisée par une croissance mondiale par habitant quasi nulle, et pour caricaturer, la Foi faisait office d’énergie, on priait pour qu’il fasse beau, qu’il pleuve et l’on allait jusqu’à marchander les indulgences ; c’était l’économie du Salut.

Puis est venue l’ère industrielle, le Salut par l’économie, où la maîtrise de l’énergie est devenue l’enjeu majeur dans ses composantes technologiques et rapidement géopolitiques.

De fait à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, l’énergie, son approvisionnement et son coût, ont été le fil conducteur de la croissance, de l’inflation et de la majorité des crises et donc de la géopolitique.

Ainsi après la ruée vers l’Ouest et la recherche de l’or noir au XIXe aux Etats-Unis, dès 1945 les Etats-Unis prirent conscience que la courbe de consommation était supérieure à celle de la production et des accords secrets d’approvisionnement à long terme furent passés avec l’Arabie Saoudite. La situation empira dans les années 60 et poussèrent les Etats-Unis, en 1971, à stopper la convertibilité du dollar en or pour essayer de payer l’or noir en « monnaie de singe ». La réponse politique vint dès 1973 avec le triplement du prix du pétrole sur fonds de guerre de Kippour. La spirale infernale de l’inflation et de la récession s’enclencha, les américains cherchant une solution politique avec l’Iran via un soutien indéfectible au Shah… dont on connaît l’issue en 1979 ;

De cet « impôt » mondial qui consiste à un transfert massif de richesses des pays consommateurs, généralement industriels, aux pays producteurs, sans s’interroger sur le caractère moral, on peut juste constater que les pays industriels n’ont dans leur ensemble pas su s’adapter.

L’inflation, les déficits publics et la dette ont été des remèdes qui ont évité l’effondrement des économies mais ne les ont certainement pas guéries.

La globalisation et les gains de productivité liés aux révolutions technologiques ont mis fin à l’inflation ; les déficits publics et les ratios de dette sur PIB rendent impossible la poursuite de cette voie qui consiste à transférer le problème sur les générations futures et heureusement le prix de l’énergie baisse.

Alors évidemment on doit s’interroger sur l’origine de cette baisse : économique ou politique, temporaire ou durable ?

La composante politique est à l’évidence très probable et la baisse actuelle résulte pour partie d’un conflit larvé entre les USA, les familles royales du Golfe et la Russie qui n’est pas sans rappeler celle de 1973 et 1979, même si les conséquences actuelles sont l’inverse (i.e. baisse des prix). La surproduction actuelle de l’Arabie Saoudite, alors que son besoin de cash ne semble pas particulièrement important, est-il dicté par la volonté des dirigeants Saoudiens de ne pas voir les Etats-Unis se désengager de la zone ?

Le prix d’équilibre de la production de gaz de schiste serait autour de l’équivalent de 80-90$ le baril ; en mettant en difficulté la rentabilité financière du gaz de schiste, les américains seraient incités à ne pas se désengager et maintenir leurs accords et présence militaire dans le Golfe… lors du choc pétrolier de 1973, les américains s’étaient rapprochés du Shah d’Iran ; et comme les américains sont actuellement en voie de pacification de leurs relations avec l’Iran… mutatis mutandis…

A l’inverse, la crise en Ukraine qui conduit à un risque de raréfaction du gaz pour l’Europe est elle poussée par les américains pour maintenir des prix élevés sachant que les premiers accords gaziers entre les US et l’Europe viennent d’être passés ?

Dans le même esprit, les Russes qui se tournent dès lors vers la Chine et passent les plus importants contrats de livraison de gaz (l’équivalent de 1/3 de la production de l’énergie Chinoise est à base de charbon) … n’est ce pas là aussi un signe assez clair d’une évolution géopolitique majeure ?

En tout état de cause, l’Europe est, comme pour l’Euro en tant que monnaie, « balladée » dans ces mouvements qu’elle subit. Il se trouve qu’aujourd’hui ces « conflits » se traduisent par une forte baisse et donc bénéficie à l’Europe mais si le jeu change, elle en sera victime. L’activité européenne pourrait être plus soutenue du fait de la baisse du coût de l’énergie avec un indice d’inflation plus bas, ce qui conduirait encore plus à maintenir des taux d’intérêts bas avec un véritable risque de spirale déflationniste.

Mais la composante économique de cette baisse est également importante : la baisse actuelle du prix du pétrole n’est manifestement pas liée à l’atonie de la demande mais surtout à la hausse récente de la production mondiale.

Les dernières estimations de l’Agence Internationale de l’Energie montrent que l’excédent serait d’environ 500 000 barils par jour pour une demande mondiale estimée à 92,5 mb/j, soit un excédent modeste de 0,5 % de l’offre sur la demande.

L’enjeu n’est donc pas à court terme ; l’Arabie Saoudite, qui avait augmenté sa production pour compenser la disparition (temporaire) des exportations libyennes, pourrait revenir à son volume exante et le prix se stabiliserait autour de $80/b. Le jeu s’est singulièrement compliqué avec la croissance de la production américaine de pétrole de schiste qui est de 1,3 mb/j en rythme annuel contre une croissance de la demande mondiale qui n’est plus que de 0,7 mb/j. La différence correspond donc plus au moins à l’excédent courant du marché.

Si la demande mondiale n’augmente pas dans les mêmes proportions, donc si la croissance économique ne repart pas, cela signifie que pour stabiliser les cours, l’Opep serait condamnée à réduire sa production pendant dix ans et de fait céder ses parts de marché à un concurrent direct. Couper sa production revient non seulement à perdre des parts de marché mais surtout à garantir à ses concurrents des niveaux de prix qui permettent le développement de leurs capacités futures. Loin de se résoudre, le problème s’accroît au fil du temps. Défendre ses parts de marché pour les pays du Golfe revient à accepter une baisse significative et durable des cours voire entrer dans une guerre des prix qui ne s’arrête que lorsque le seuil de douleur est atteint chez l’un des belligérants.

Bien que confidentiel, il est généralement admis que le coût marginal de production (le coût des puits les plus chers à exploiter) des puits saoudiens se situe entre $25 et $30/b alors que du côté du pétrole de schiste, les chiffres publiés par les compagnies elles-mêmes le donnent entre $75 et $80/b. La messe semble dite.

La réalité est d’évidence plus complexe. Du côté des pays de l’Opep d’abord où la notion de coût marginal n’a que peu de pertinence. Les compagnies nationales ne sont pas des compagnies privées et leur seuil de rentabilité économique n’est pas le seul facteur dictant les décisions stratégiques.

Ce n’est donc qu’après un ou deux ans de prix en-dessous de leur seuil de rentabilité, que l’on devrait voir le rythme des investissements nouveaux ralentir significativement. L’Arabie saoudite a déjà tranché en confirmant qu’elle n’a aucune intention de réduire ses exportations à court terme. Ce qui est certain, c’est qu’après dix ans de production à pleine capacité vendue à des prix jamais connus, les producteurs de pétrole viennent d’entrer dans une période beaucoup plus difficile dont la durée dépendra du retour de la croissance mondiale.

Si les économistes qui estiment que ce retour prendra des années plutôt que des mois ont raison, la baisse des cours n’en serait donc qu’à son début.

C’est certainement une bonne nouvelle pour les pays consommateurs dont la croissance est malmenée par cette problématique depuis 40 ans ; c’est par contre potentiellement une très mauvaise nouvelle pour la planète. Le réchauffement climatique provenant pour une large part de notre économie carbonée était enfin sorti du combat des « verts » pour devenir l’enjeu mondial du XXIe siècle.

La problématique de la transition énergétique, les investissements massifs dans le développement des énergies alternatives, les technologies réduisant les consommations d’énergie et augmentant les rendements énergétiques sont des enjeux vitaux autrement plus importants que la bulle « d’oxygène » qu’est en train d’amener la baisse du prix de l’énergie.

Certes, les accords gaziers Russo-Chinois vont réduire considérablement la pollution produite par l’exploitation du charbon chinois, de même que certaines technologies, toujours sur les centrales à charbon, vont permettre de piéger l’essentiel de la production de carbone mais il n’en demeure pas moins que l’on connaît nos « politiques » : la tentation va être très forte de prendre les bénéfices à court terme de cette nouvelle donne, de réduire les investissements et la recherche (dès lors que le prix des énergies substituables devient non compétitif) et de laisser ainsi aux enfants qui naissent aujourd’hui une planète dévastée… Bien sûr il existe des réponses, comme une taxe carbone unique et inversement proportionnelle au prix du pétrole, et la COP21 qui se tiendra à Paris en décembre 2015 sera l’occasion de voir si nos politiques mondiaux sont à la hauteur, faute de quoi, cette bonne nouvelle se traduira par une catastrophe écologique d’une ampleur autrement plus importante qu’un pourcent de croissance mondiale !

Xavier Lepine , Décembre 2014

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