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Chronique de Mory Doré

Gouvernements et marches financiers : votre cooperation est le seul rempart au populisme

Les partis de gouvernement doivent reprendre la main en matière de politique économique et faire évoluer leur relation aux marchés. Faute de le comprendre, ils continueront à faire la part belle aux extrémismes et populismes de tous bords

Nous voyons aujourd’hui en France la classe politique abasourdie par les résultats récents de sondages propulsant l’extrême droite en tête du premier tour à la présidentielle de 2012. Ce qui me choque n’est pas tant ce type de résultat (même si l’image de notre pays n’en sort pas grandie) que les réactions des partis traditionnels : la droite rejette la faute sur la gauche et inversement ; le procès des sondages et de leur fiabilité est mis en avant (sans être une science exacte la théorie des sondages et les techniques d’échantillonnages ne permettent pas de dire et de faire n’importe quoi et encore moins de sortir n’importe quel résultat fantaisiste).

Il ne sert à rien de se lamenter sur ce type de résultat. Le devoir d’ hommes politiques responsables et lucides est de reconnaître que la montée des extrêmes n’est que le reflet de la faillite des politiques économiques menées depuis 30 ans ; le reflet de l’incapacité des responsables politiques de tous bords à créer les conditions de la croissance économique et du développement social dans un environnement de maîtrise des équilibres financiers et de gestion rigoureuse des deniers publics. Encore eut-il fallu que nos dirigeants politiques aient une culture économique et financière digne de leurs fonctions ; au passage, ceci leur aurait permis de dispenser depuis longtemps des cours d’économie très vulgarisés à l’extrême droite, disqualifiant ainsi des thèses économiques aussi absurdes que contre-productives.

Faire systématiquement plaisir aux marchés de la part des gouvernements c’est ridicule et cela ne veut rien dire. Les marchés ne sont pas une créature abstraite, un deus ex machina omniscient dépositaire de l’allocation optimale des ressources. Les marchés sont constitués par tout un ensemble d’acteurs avec des contraintes, objectifs, horizons de temps et réglementations différents : trader, arbitragiste, investisseur institutionnel, trésorier de banque, gestionnaire ALM, banque centrale, hedge fund , gérant d’actif, structureur…Alors à qui se soumettre ?

Fallait-il « déléguer » purement et simplement sa politique économique aux marchés comme on le voit en France et ailleurs depuis le milieu des années 1980 ? Cette période va être marquée par une forte dérégulation, désintermédiation et déréglementation de l’économie et va consacrer alors la suprématie des marchés financiers dans le financement de la sphère économique et la gestion de nouveaux risques. Dès lors, nous allons rentrer dans un monde de pensée économique unique aussi bien chez les responsables politiques de la Gauche dite de gouvernement, décidée à faire disparaître ses complexes en matière de gestion économique que chez les responsables de droite (influencés par les politiques de l’offre mises en œuvre au début des années 1980 par Ronald Reagan aux Etats Unis et Margaret Thatcher en Angleterre)

Certes aucun gouvernement ne pouvait et ne peut transgresser les lois économiques sans dommages et ignorer les contraintes de la mondialisation, de la libre circulation des capitaux et du financement des dettes publiques et privées sur les marchés de capitaux. Et rien ne doit nous conduire à cautionner les « solutions » alter-mondialistes d’extrême gauche et populistes d’extrême droite (protectionnisme aveugle, nationalisations sauvages, immigration zéro, …)

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas pour autant capituler devant les marchés ? Car ceux-ci sont souvent très hypocrites. L’exemple le plus emblématique est ce fameux double piège des déficits publics dans lequel on enferme les pays périphériques de la zone € et dans une moindre mesure la France et l’Italie :
- retour en récession de l’économie européenne si déficits réduits sauvagement comme l’exigent les marchés donc crise des monnaies ou
- si ces déséquilibres ne sont pas réduits sauvagement, risque de nouvelle attaque sur les dettes publiques des pays concernés lorsque les marchés financiers réaliseront que les déficits publics restent élevés

Les marchés ne sachant pas réellement ce qu’ils veulent, il revient aux gouvernements de mettre en œuvre des politiques économiques créatrices de valeur pour tous les acteurs de l’économie (salariés, consommateurs, actionnaires, investisseurs ..) à même de convaincre les marchés : politique économique volontariste, cohérente, crédible destinée à accroitre la croissance potentielle ; partage intelligent de la valeur ajoutée ; rigueur budgétaire pour les dépenses de fonctionnement et activisme budgétaire pour les dépenses d’investissement ; politiques monétaire et de change non dogmatiques…

Nous allons reprendre ces lignes de politique économique que les gouvernements doivent imposer aux marchés ; ceux-ci n’attendent d’ailleurs que cela pour être convaincus et acheter les actifs financiers de ces pays

LA POLITIQUE BUDGETAIRE DOIT NECESSAIREMENT ETALER DANS LE TEMPS LA REDUCTION DE LA DETTE PUBLIQUE

Ceci revient à admettre qu’il faut des règles budgétaires liées au cycle économique. C’est ce que les économistes appellent une politique contra-cyclique.

En période de haut de cycle (environnement de croissance forte), il ne faut pas hésiter à mettre en place des contraintes fortes, ce qui empêchera une dérive à long terme du taux d’endettement public.

En période de bas de cycle, de vrais pouvoirs politiques courageux et compétents doivent pouvoir faire accepter aux marchés une réduction plus graduelle de leurs déficits publics ; de toute façon il est de l’intérêt de tout le monde de ne pas faire replonger les économies en récession

De même, à l’image des politiques réussies de consolidation des finances publiques en Finlande, Suède et au Canada au début des années 1980, il faut savoir accompagner la politique de réduction des déficits publics d’une dépréciation forte de l’euro, afin de compenser la perte de demande domestique par une croissance plus forte des exportations (Cf politique de change ci-dessous)

LA POLITIQUE SALARIALE DOIT EVITER UN PARTAGE ABSURDE DE LA VALEUR AJOUTEE

Dans bon nombre de pays occidentaux, l’excès d’épargne des entreprises correspond à des taux d’autofinancement supérieurs à 100%.

Ceci signifie que les profits dépassent les besoins d’investissement et nous nous trouvons donc dans une situation de partage anormal de la richesse tant d’un point de vue économique que d’un point de vue social : les entreprises distribuent des dividendes anormalement élevés, rachètent leurs actions pour améliorer leurs ratios de rendement sur fonds propres ou accumulent des actifs financiers improductifs.

Il faut savoir stopper la remontée de la profitabilité, lorsque l’épargne des entreprises devient si importante qu’elle dépasse le besoin de financement des investissements, c’est-à-dire lorsque le partage des revenus se fait excessivement en faveur des profits. Ceci revient à mener des politiques de revalorisation massive du pouvoir d’achat d’abord dans les pays à fort excès d’épargne des entreprises (Allemagne, Japon et même certains émergents tels que la Chine)et ensuite dans des pays à moindre profitabilité aujourd’hui mais qui retrouveront de la compétitivité grâce aux politiques dynamiques de revenus du premier groupe de pays

LA POLITIQUE DE CHANGE DOIT ETRE PROACTIVE

Sur ce sujet, il faut pouvoir faire évoluer les objectifs de la BCE et admettre que, dans certaines circonstances, un objectif de change puisse se substitue à l’objectif de stabilité des prix.

Ce peut-être l’acceptation d’une dévaluation forte de l’euro provoquée, comme l’a souvent pratiqué la Suisse (qui ne peut être taxée de terre de laxisme monétaire), par des interventions de change. Tout ceci suppose que les statuts de la Banque centrale puissent évoluer sans nécessairement remettre en cause l’intégralité de l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique

Une telle politique doit être mise en œuvre vigoureusement en période de doutes déflationnistes (on voit donc là tout l’intérêt qu’il y a à surpondérer objectif d’inflation ou objectif de change suivant le contexte macroéconomique) et permettre :

  • une relance inflationniste si nécessaire et la création d’un environnement de taux d’intérêt réels négatifs et de réduction des taux d’endettements ;
  • le maintien d’une compétitivité coût par la dépréciation du change ;
  • la baisse des taux d’intérêt réels de nature à stabiliser au pire et à relancer au mieux la demande intérieure et l’investissement

ET SURTOUT LA POLITIQUE MONETAIRE DOIT ETRE REPENSEE

Et les politiques doivent là aussi pouvoir se la réapproprier dans le prolongement de la politique de change. Nous savons que nous devons éviter de poursuivre les politiques monétaires telles que pratiquées en Occident, chacune dans leur style

Par exemple ne pas monétiser de manière déséquilibrée et à tout va comme le font BOE et FED avec les conséquences de la surliquidité qui vient gonfler les bulles émergentes et qui poussent les banques centrales d’Asie par exemple à répondre par de la surliquidité supplémentaire …

Mais aussi éviter les remontées de taux qui tentent la BCE et qui sont du point de vue des craintes inflationnistes actuelles infondées. Il n’ y a que trois sources d’inflation et trois seulement : celle provoquée par la hausse des prix de matières premières (qui existe aujourd’hui et qu’ il ne sert à rien de combattre par la hausse des taux puisque cette inflation pénalise le pouvoir d ’achat des ménages ) ; celle provoquée par la croissance de la masse monétaire ( le problème est qu’aujourd’hui la forte croissance des agrégats monétaires ne se transmet pas aux prix des biens et services mais au prix des actifs financiers) ; enfin celle provoquée par les hausses de coûts salariaux ( pas de longs discours là dessus , elle n’existe pas encore et Jean Claude Trichet a même eu l’outrecuidance d’affirmer récemment qu’il ne fallait surtout pas qu’elle se manifeste).

La BCE veut à tout prix éviter un dérapage des anticipations inflationnistes, parce que c’est son mandat, mais aussi parce qu’en protégeant sa soi-disant crédibilité anti-inflationniste elle contribue à maintenir les taux longs bas (ce qui peut être une bonne nouvelle quand l’endettement public est insoutenable). Une hausse des taux courts aurait donc selon elle pour vertu de stabiliser les taux longs en aplatissant la courbe des taux. Mauvais calcul selon nous car c’est contreproductif pour des économies convalescentes et dangereux quant à la stabilité du système bancaire.

Attention donc encore une fois au dogmatisme et il y a là un vrai danger à ne vouloir plaire qu’aux marchés et à se complaire dans les messages que ceux-ci apportent au travers d’indicateurs plus ou moins pertinents. On pense naturellement à la courbe des points morts d’inflation que l’on déduit de la courbe des obligations indéxées inflation : plus les points morts d’inflation à long terme sont bas, plus cela signifie que l’inflation anticipée à long terme par les marchés est basse et donc que la crédibilité anti-inflationniste de la banque centrale est élevée et plus Jean Claude Trichet est content .. Pour paraphraser une formule célébre , à quoi cela sert-il de tomber amoureux d’une courbe de points morts d’inflation..Notamment au regard des enjeux de politique économique que nous analysons dans cet article et de leurs conséquences sociales et politiques.

On comprend donc qu’aujourd’hui le maniement classique des taux directeurs par la BCE est problématique surtout quand les raison invoquées ne sont pas forcément de bonnes raisons comme nous l’avons montré plus haut.

- 1. risques de refragilisation du système bancaire avec un aplatissement inutile de la courbe des taux, de nature à ralentir la progression du PNB des banques et la croissance de leurs fonds propres.
- 2. risques d’institutionnaliser la dualité du marché monétaire avec la coexistence d’un cycle de durcissement normal pour les banques des pays du noyau dur et le maintien de mesures non conventionnelles pour celles des pays périphériques. On ne peut se satisfaire des thèses de Jean Claude Trichet qui considère que l’on peut déconnecter sans souci la politique de fixation des taux directeurs de l’alimentation en liquidité du système bancaire de la Zone

On sait, en effet, que depuis le début de la crise en 2007, il fallait dans un premier temps parer au plus pressé : répondre à la crise de liquidité interbancaire, se substituer aux marchés financiers en panne et bien sûr limiter l’impact de la crise financière sur l’économie… Cette fonction de substitution au marché interbancaire par la BCE doit malheureusement continuer à être exercée

TOUTES CES INFLEXIONS ET IMPULSIONS NOUVELLES DE POLITIQUE ECONOMIQUE DOIVENT POUVOIR SE METTRE EN PLACE DANS UN ENVIRONNEMENT EGALEMENT NOUVEAU

Vraie coopération monétaire mondiale : volonté de résorber les déséquilibres économiques mondiaux (contrôle création monétaire mondiale et fixation de nouveaux objectifs aux banques centrales), ce que le G20 récent n’a pas su mettre véritablement en avant.

Coopération nouvelle en zone € avec la mise en place d’un vrai fédéralisme fiscal voire d’une meilleure mutualisation dans la mise en place des programmes d’émission du FESF (Fonds européen de stabilité financière) aujourd’hui et du MESF (Mécanisme européen de stabilité financière) demain.

Plans de défauts et de restructurations ordonnés en zone € pour les dettes des pays les plus fragiles en évitant le risque systémique pour les banques (adaptation des règles comptables) et en assurant une protection minimale des épargnants (cf assurance vie) Evolution intelligente des règles prudentielles : favorable à l’instauration du futur LCR (Liquidity coverage ratio) qui va sécuriser la liquidité des banques ; adaptation du futur NSFR (Net stable funding ratio) pour ne pas trop déstabiliser les politiques de transformation des banques et donc le financement de l’économie.

Mise en place de stress tests bancaires de vérité (je ne suis pas sûr que l’on en prenne le chemin) : stress sur la liquidité bancaire avec une évaluation fine du collatéral mobilisable des banques auprès de la banque centrale et sur les marchés financiers ; stress sur les positions en souverains y compris et surtout celles logées en banking book, même si les variations de valeur négatives n’impactent pas directement le compte de résultat.

Nous développerons spécifiquement ces 3 derniers sujets dans de prochaines contributions

Mory Doré , Mars 2011

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