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Espen Haug : « Je réfléchis à l’idée de monter un anti-hedge fund... »

Trader d’options pour J.P.Morgan puis pour les fonds Amaranth et Paloma Partners, Espen Haug envisage de monter un « anti hedge fund » et estime que ses stratégies de trading sont beaucoup trop complexes pour être transformées en « Black Box »...

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Next Finance : Après votre célèbre livre The Complete Guide to Option Pricing Formulas qui a aidé toute une generation de traders à réaliser leur spreadsheets, qu’avez-vous de nouveaux dans les bacs ?

Espen Haug : Je prépare un nouveau livre qui s’intitulera Derivatives Models on Models aux éditions Wiley. Actuellement, j’y apporte les dernières corrections. Il devrait être disponible en avril ou mai 2007. Il sera très différent du livre Option Pricing Formulas et je dirais très différent de n’importe quel autre livre sur les dérivés. J’ai interviewé 16 experts en modèles, philosophes, traders et quants au sujet de leurs modèles et de leurs idées. Il était très intéressant d’effectuer les interviews et j’en ai beaucoup appris. Je pense également que beaucoup de lecteurs trouveront cette partie intéressante. Le livre contient aussi une série de chapitres techniques très complets qui vont de l’évaluation traditionnelle des produits dérivés aux idées originales telles que l’espace temps de la finance et les probabilités négatives. En outre, le livre comporte une section de divertissement, agrémentée de coloris et d’histoires drôles sur les produits dérivés. Il est également le premier du genre à y inclure de l’art, des photos artistiques et des peintures, toutes directement reliées à la finance quantitative.

En collaboration avec le Oslo Stock Exchange, j’organiserai la première exhibition d’art en finance quantitative à Oslo. Cela sera concomitant au lancement de mon livre. Je déplacerai probablement mon exhibition à Londres, New York ou plutôt devrais je essayer Paris, où les gens tendent à être beaucoup plus ouverts aux idées un peu « folles » ? La combinaison de l’art et de la finance quantitative rendra, si tout va bien, la finance quantitative moins mystérieuse pour la plupart des gens, ou à contrario, beaucoup plus étrange. Quoi qu’il en soit, j’attends de voir les réactions.

En outre, j’ai en tête d’écrire quelques livres en plus. Je veux écrire un livre concernant les aspects pratiques du trading sur options, un livre concernant la physique et un livre sur ma vie en tant que trader. Le problème est de trouver le temps de les écrire. Ecrire un livre est toujours au moins, pour moi, trois fois plus long à écrire que prévu. J’attends avec intérêt le jour où je pourrai télécharger les livres que j’ai déjà écrits dans ma tête et les faire imprimer en un jour ou deux. Ou alternativement les mettre en ligne sur le réseau. J’espère qu’en même temps, quelqu’un aura déjà mis sur me marché un « firewall » empêchant toute personne de hacker ce qu’il y a dans mon bel esprit (rires).

Je réfléchis également à l’idée de monter mon propre hedge fund. Ou ce que j’appellerai un anti- hedge fund. C’est un hedge fund qui sera négativement corrélé aux traditionnels fonds à portage positif, au moins pour les grands mouvements du marché. C’est un hedge fund mais avec une stratégie unique, basée sur des principes de couvertures robustes, pas sur les modèles ou les principes qu’on rencontre seulement dans un monde imaginaire ou sur les campus d’université.

Next Finance : Vous avez travaillé comme prop trader d’options à J.P. Morgan Chase à New York et come trader d’options pour le fonds Amaranth et Paloma Partners. Quelles types de stratégies élaboriez vous ?

Espen Haug : J’ai été impliqué dans le trading de toute une série de classes d’actifs, de marchés et d’instruments de capitaux : FX, fixed income, commodities, actions et à un moment même l’électricité. En particulier, j’utilisais beaucoup d’options et de dérivés à payoff convexe pour mes trades. Et même si j’ai très peu écrit à ce sujet, les événements de « queue » de distribution ont été mon principal centre d’intérêt dès que j’ai débuté ma carrière de trader. C’est réellement le crack de 1987 qui m’a donné envie de m’intéresser aux options et aux événements de queue. Pendant mes premières années dans l’industrie des hedge funds, j’ai travaillé dans un « floor » tout près du desk de trading de Nassim Taleb. Je me suis intéressé aux queues de distribution bien avant cela, mais j’ai certainement du être influencé par ses papiers et ses idées que j’ai trouvés très intéressants.

J’utilise beaucoup d’outils quantitatifs dans mon trading. Mais je ne crois pas aux « black box » trading, en particulier lorsqu’il s’agit de trading d’options. Aussi, je combine ces outils avec des concepts très profonds sur les probabilités, des très longues séries chronologiques de données empiriques et mon expérience de trading. En particulier, je les relie aux principes de hedging et d’évaluation, certains d’entre eux sont décrits dans mon livre Derivatives Models on Models. La plupart des principes de hedging décrits dans la littérature universitaire sont « non-robustes », ils échouent inlassablement sous certains scénarios pertinents rencontrés dans la pratique. Un des aspects les plus importants de la finance quantitative est d’essayer de trouver des failles dans les modèles employés par le marché. Si vous connaissez d’autres traders qui emploient de tels modèles sans entièrement en maîtriser leurs faiblesses, vous pouvez potentiellement les arbitrer. Une large part de ma recherche quantitative est réellement de tirer profit des modèles quantitatifs défectueux et des traders faisant confiance à de tels modèles ou principes.

Next Finance : Grâce au succès des algorithmes de trading, on entend assez fréquemment que les machines remplaceront les traders, êtes vous en phase avec cette idée ?

Espen Haug : Les machines vont et devraient probablement remplacer les traders moyens ; je ne suis pas impressionné par ces traders moyens à portage positif qui vendent des dimensions cachées de risque et qui clament qu’ils sont des génies battant le marché (jusqu’à ce qu’ils explosent en vol). Une machine ou un chimpanzé jetant les dés de façon aléatoire sur un Wall Street journal pour sélectionner des actions fera probablement à la longue un bien meilleur score que ces traders.

Pour répondre à votre question, nous devons également définir ce qu’est une machine et ce qu’est un trader. Les hommes programment les algorithmes et construisent les ordinateurs. Le trading ainsi automatisé peut simplement être vu comme une machine faisant la partie ennuyeuse du job. Elle exécute vos ordres basés sur un ensemble d’instructions. Instructions si tout va bien, réalisées par un bon « quant » ou « quant » trader. Les machines ne sont pas encore aptes à se programmer toutes seules, même si le travail progresse dans ce secteur. Ainsi les machines sont à l’heure actuelle simplement des outils employés par des quants et des traders. Est-ce qu’un trader a besoin d’exécuter des trades pour être considéré comme un trader ? Si en tant que trader je pouvais me reposer sur la plage ou me promener dans la montagne en pensant aux grandes lignes et aux profonds aspects philosophiques des probabilités puis l’obtenir programmé dans un ordinateur exécutant mes trades, ce serait une chose merveilleuse. Pourquoi les « execution » traders devraient-ils être fortement payés si nous pouvions les remplacer par les machines et les logiciels ?

Un autre aspect des automates de trading est que davantage d’argent irait potentiellement aux « quants » qui apportent réellement les bonnes idées. Sur plusieurs desks de trading, les personnes proposant les bonnes idées les programment dans un outil. L’outil (logiciel) est mis entre les mains des traders. Ces traders qui parfois, basent tout sur cet outil pour faire de l’argent, prennent 90% de l’enveloppe de bonus. Certains de ces traders font souvent, simplement, de l’exécution avancée. Quelques fois, ils ne comprennent même pas entièrement les modèles sur les quels ils basent leur trading. Dans certaines circonstances, il vaudrait mieux que le « quant » qui a réalisé le modèle, exécute les trades. D’un autre côté, beaucoup sinon la plupart des modèles élaborés par les quants et universitaires, sont défectueux et non-robustes et marchent seulement dans la pratique parce que des traders sur la base de leur expérience, les modifient et les adaptent au marché.

Je connais également des sociétés où le « business » est de dépouiller les traders et les quants de leur connaissance. L’idée est de les faire programmer tout ce qu’ils savent dans des ordinateurs, puis d’en faire des logiciels et des stratégies automatisées de trading qui seront la propriété de la société. De telles sociétés ont généralement des clauses de non concurrence très strictes et des contrats qui dépouillent les créateurs d’idée de leur propriété intellectuelle. De cette façon, le top management peut rémunérer faiblement ces personnes et les remplacer facilement car elles ont déposé la majeure partie de leur connaissance dans une machine. Le résultat est que les politiciens du top management obtiennent la majeure partie de l’argent, les managers qui ont progressé dans la hiérarchie grâce à leur habileté politique seront toujours bons pour proposer de bonnes affaires, surtout bonnes pour eux-mêmes. Si une société veut que vous lui donniez toute votre propriété intellectuelle, assurez vous d’être payé pour cela, si ce n’est pas le cas, il vaut mieux que vous quittiez tout simplement l’entreprise...

S’agissant de ma propre stratégie de trading, elle est beaucoup trop complexe pour être transformée en algorithmes de trading à l’heure actuelle. Les humains sont également des machines. Mais je suis une machine beaucoup plus intelligente que la plupart des ordinateurs. La partie répétitive et ennuyeuse de ma stratégie de trading peut être programmé. Cependant, elle doit être combinée avec mon expérience de trading qui est impossible à rentrer dans un ordinateur. Les traders qui peuvent transformer en boîte noire la totalité de leur stratégie de trading sont probablement eux-mêmes des machines pas très intelligentes. De tels modèles marchent bien pendant pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’ils cessent de faire l’argent ou même pire, entraînent des pertes colossales. La plupart des automates de trading sont élaborés à partir de back testing sur des données historiques. Le futur n’est pas l’Histoire. C’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de queues épaisses de distribution ou d’évènements extrêmes. Aujourd’hui nous avons des modèles qui matchent les distributions historiques des queues de distribution et nous pouvons calibrer des modèles aux surfaces de volatilité. Mais c’est le futur qui compte, et beaucoup de traders ignorent le fait que nous ne pouvons pas réellement proposer de bonnes évaluations des probabilités futures de queues de distribution, c’est quelque chose que je le devine a été précisé plusieurs fois par Nassim Taleb, Benoit Madelbrot et d’autres. Les meilleures firmes de trading savent cela et elles ont des « quants » et des « quants » traders en quantité qui surveillent sans interruption leurs automates. Ca ressemble à du trading automatisé, mais c’est juste un ordinateur effectuant les tâches répétitives. Le cerveau derrière les quelques grandes idées génératrices de cash est toujours le cerveau humain, et non une puce informatique. Ceci pourrait changer dans l’avenir, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Next Finance : Quelles sont vos principals axes de recherche actuellement et comme entrevoyez vous le futur des Marchés financiers ?

Espen Haug : Ces dernières années, j’ai étudié quelques aspects mêmes des fondements des marchés et de la nature, et je pense que j’ai trouvé quelque chose de très intéressant, quelque chose d’inattendu. Si j’ai raison mon étude aura des répercussions en dehors du champ de la finance, dans le cas contraire, je ressemblerai à un imbécile, mais je n’ai pas peur pour ressembler à un imbécile.
Le plus important, c’est qu’une énorme quantité de données empiriques semble confirmer ma théorie. Peut être que les théories classiques peuvent également expliquer ce que les données empiriques montrent. En fait, les théories ajoutent juste quelques couches en plus de mathématiques complexes pour confondre nos esprits. Si quelque chose a une explication très simple et une explication alternative extrêmement complexe, alors l’explication simple doit l’emporter. Du moins, jusqu’à ce des données empiriques ou une preuve logique prouvent autre chose. Et je pense que j’ai l’explication la plus simple possible. De quoi est-ce que je parle ? C’est un secret, mais j’essayerai de publier mon idée courant 2007/2008...

En relation avec ce sujet, j’essaierai d’écrire un peu plus sur la façon dont les traders dealent et pricent les options. Pendant une période sabbatique (faisant du trading seulement avec mon propre argent) j’ai finalement pu analyser comment ce que je percevais comme un conflit entre la pratique du trading d’options et la théorie pouvait être résolue. Ma vision sur ce sujet peut être retrouvée au chapitre 2 de Derivatives Models on Models. Fondamentalement, j’ai juste mis dans l’ordre tous les morceaux d’un même et unique puzzle. Tous ces morceaux ont été présentés bien avant moi, mais jamais agencés de cette façon. Je veux dire la bonne manière...(rires)

En ce qui concerne le futur des marchés financiers, je pense que nous sommes au début d’un changement complet dans les modèles quantitatifs. Il y a une évidence empirique contre les modèles classiques et les idées qui y sont associés. Par exemple, le puzzle du premium d’option n’est pas un puzzle du marché, mais un puzzle de modèle. Un puzzle créé par les « quants » eux-mêmes, parce qu’ils utilisent des mesures de risque défectueuses. La plupart des modèles universitaires sont faits pour rester cohérents aux autres modèles universitaires, pas pour être cohérents avec les données empiriques. Sur ce site, un ou deux chercheurs ont essayé de fixer ce problème. Je crois que nous faisons fausse route. Nous devons revenir aux fondements mêmes des probabilités, aux fondements des principes de couvertures robustes et développer de nouveaux modèles. Avant que nous puissions rendre les modèles conformes aux données empiriques, nous devons d’abord comprendre ces données. Selon moi, nous ne comprenons pas ce que les données empiriques nous indiquent, simplement parce que peu de nous passent le temps nécessaire à réfléchir de façon profonde à de telles questions. Je pense que la plupart des grandes découvertes sont devant nous, pas derrière nous.

F.Y , Mai 2008

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Voir en ligne : Le site web d’Espen Haug

P.-S.

Références :

Haug, E. G. (2007) Derivatives Models on Models, Wiley Publishing.

Wesley M. C. (1915) : “The Making and Using of Index Numbers,” Bulletin No. 173 of the U.S. Bureau of Labor Statistics.

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