Allocation d’actifs : Le feu et la fureur

Nous passons à une sous-pondération du crédit. Nous sommes toujours en forte sous-pondération des obligations d’Etat en zone euro et aux Etats-Unis. Enfin, nous mettons en place un hedge contre le scénario Nixon-Burns en adoptant une surpondération de l’or.

Le mois dernier, nous mettions en garde contre une dynamique d’ensemble des marchés qui reflétait le « meilleur des mondes », où la croissance était éternelle, l’inflation impossible et les contraintes de solvabilité ignorées. Nous mettions en avant le rôle clé joué par le coût du capital en dollar pour alimenter la croissance mondiale. Or cette configuration des marchés programmait un retour de l’inflation américaine via la baisse du dollar et la hausse des matières premières, les deux phénomènes se renforçant mutuellement. Une peur inflationniste sur les marchés obligataires était donc susceptible de casser la belle mécanique de cette euphorie globale.

Une surprise haussière sur les salaires horaires de janvier (chiffre au demeurant volatil et déformé ce mois-là par les conditions climatiques) a mis le feu aux poudres : les taux longs se sont tendus sur fond de hausse des anticipations d’inflation, précipitant la chute des actions et l’éclatement de la bulle des produits short de volatilité. Un choc inflationniste est par définition un choc de corrélation sur les marchés (recorrélation des actions et des obligations) qui augure une deuxième vague de de-risking par les stratégies de risk parity.

Au-delà de ces phénomènes de flux, tout dans le policy mix américain suggère une dangereuse pentification de la courbe des taux. Comme nous le craignions, le seul moyen de dépasser l’impasse budgétaire au Congrès a été d’accorder des largesses fiscales aux deux camps. L’accord de budget 2018-2019 prévoit donc une hausse des dépenses de 300md$, qui viennent creuser le déficit en plus de la très généreuse « réforme » fiscale des Républicains. Le déficit atteindra 5% du PIB en 2019, probablement l’année du pic cyclique. Certes, le retrait de la Fed aux enchères du Trésor (réduction de son bilan) sera compensé par une hausse des émissions de bons à court terme, mais le marché obligataire devra néanmoins digérer l’augmentation nette des émissions (hausse du déficit), alors même que la masse d’épargne parquée par les multinationales à l’étranger (estimée à 3000md$), investie en obligations souveraines et privées, sera progressivement liquidée et rendue au fisc (impôt) et aux actionnaires (dividendes, rachats d’actions, fusionsacquisitions).

Enfin, et de façon inquiétante, le dollar a retrouvé le chemin de la baisse dans la phase de rebond des marchés, malgré les annonces de largesses budgétaires concomitantes (budget, infrastructures). La théorie économique prévoit au contraire une hausse du dollar en réponse à l’importation de capitaux nécessaire pour combler un déficit extérieur en hausse. La dégringolade continue du dollar suggère que le marché ne pense pas que la Fed réagira vigoureusement à une surchauffe de l’économie provoquée par la stimulation budgétaire trumpienne. Une augmentation permanente de l’inflation anticipée aux Etats-Unis provoque alors une dérive de toute la courbe forward du dollar. Ce scénario, confirmé par la hausse paradoxale de l’or (en contexte de remontée des taux longs réels), intègre donc une probabilité nonnulle que Powell suive les traces d’Arthur Burns, le chairman qui, soumis à la pression politique de Nixon, laissa s’installer l’inflation dans les années 70.

Il est vrai que, dans une économie au plein emploi, chauffée à blanc par un stimulus budgétaire et une bulle de crédit, les projections de décembre de la Fed, qui anticipent 3 hausses de taux cette année, paraissent bien timorées. Le marché n’en prévoit plus que 2.5 au dernier pointage sur les forwards. Powell n’a rien fait pour invalider ces anticipations, insistant au contraire, dans son discours d’intronisation, sur les risques sur la stabilité financière, allusion au retour de la volatilité le jour de son entrée en fonction. Sa tâche n’est certes pas aisée. Coincée entre une bulle à Wall Street, un emballement de l’investissement (incitations fiscales), un consommateur drogué au crédit (hausse des défauts sur tous les segments de dette des ménages) et un risque de résurgence inflationniste (dollar faible), la Fed s’est mise dans une position inextricable durant les années Yellen (au prétexte que le chiffre après la virgule de l’inflation n’était pas le bon). Et il n’existe pas de chemin idéal qui éviterait un atterrissage brutal de l’économie et des marchés à moyen terme. La Fed pourra au mieux piloter un atterrissage un peu moins douloureux – mais la pire des stratégies serait pour Powell de commencer par perdre le contrôle de la courbe en laissant le marché obligataire reconstituer une prime inflationniste dans les taux longs, et le marché des changes rétrograder le dollar sur une courbe forward toujours plus faible (baisse du dollar malgré la hausse des taux). Pour une économie américaine surendettée (ménages surtout) et dépendante aux effets richesse sur des actifs surévalués (actions, immobilier), l’effet serait dévastateur. Pour le reste du monde, la baisse du billet vert est un stimulus pour les emprunteurs déjà endettés en dollar, mais cette trajectoire implique une hausse du coût du capital marginal. De surcroît, nous pensons que la liquidité en eurodollars continuera à se raréfier. Nous considérons donc que la bande 2.8-3.0% pour le 10 ans est une zone critique pour l’économie mondiale qui programme de nouveaux accès de turbulence sur les marchés.

En l’absence de repli des taux longs américains vers des cieux plus cléments, nous avons donc poursuivi le mouvement de réduction des risques dans nos portefeuilles.

Nous sommes désormais neutres sur les actions, toujours avec un pari long zone euro (limité aux banques et aux small caps) et Japon contre Etats-Unis et émergents.

Nous passons à une sous-pondération du crédit. Nous sommes toujours en forte sous-pondération des obligations d’Etat en zone euro et aux Etats-Unis. Enfin, nous mettons en place un hedge contre le scénario Nixon-Burns en adoptant une surpondération de l’or.

Raphaël Gallardo , Février 2018

Partager
Envoyer par courriel Email
Viadeo Viadeo

Focus

Stratégie Révolution indicielle dans les Hedge funds

Une critique courante des modèles factoriels repose sur le fait qu’ils ne "répliquent que le bêta" - pas l’alpha pur que recherchent les allocataires. Cette critique est antérieure à l’appréciation des rotations factorielles. L’analyse d’Andrew Beer, dirigeant et co-fondateur de (...)

© Next Finance 2006 - 2024 - Tous droits réservés